Par Nina Thomas, M.Ed., PhD (c)
Le mois de la sensibilisation à l’autisme tire peut-être à sa fin, mais le chemin parcouru est malheureusement très court par rapport à celui qui reste à parcourir. Certes, les organisations embauchent des conseillers en équité, diversité et inclusion. Également, de plus en plus de compagnies se tournent vers des talents neurodivergents. Mais ces pratiques n’existent pas encore dans les domaines de l’éducation et de la santé.
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,Aujourd’hui, j’aimerais vous parler un peu du système de santé et la perception de l’autisme. (Bon je vous l’avoue, c’est peut-être un peu moins ludique que mes autres billets, mais je vous promets que la réflexion en vaut la peine!)
Ah, donc puisque je suis en éducation, ça ne m’affecte pas.
Au contraire. La collaboration entre les deux milieux est très étroite. Le système de l’éducation s’appuie souvent sur les savoirs et les recommandations du domaine de la santé. C’est donc aussi important pour vous! Personne n'est à l'abri du modèle médical et le savoir n'est pas absolu. (Vous vous souvenez de mon billet sur les femmes autistes en éducation?)
Ceux qui me lisent commencent à connaître mon mantra : « On ne peut pas savoir ce qu’on ne sait pas ». Ça s’applique à n’importe quel contexte. Je le disais souvent à mes élèves. Je le dis encore à mes étudiants, aux personnes que j’accompagne et à mes enfants. Et surtout, je me le répète souvent. Ça aide quand on se trompe, quand on se sent mal. Ça aide aussi quand on fait une gaffe qu’on craint irréparable. Comme le disait feu Oscar Wilde, « Je ne suis pas assez jeune pour tout savoir ».
Ok, mais on fait quoi avec cette phrase outre que pratiquer la bienveillance envers soi-même?
Tout à fait! C’est que cette phrase a une suite : « L’important, c’est d’en prendre conscience et d’agir en conséquence! »
Bon, vous allez me dire que c’est normal comme réflexion. C’est la suite logique. Mais ce n’est pas si simple que ça. Il faut avoir le courage d’admettre qu’on a des choses à apprendre. Il faut aussi avoir le temps et l’accès à de la formation continue pertinente.
Prenons le domaine de l’éducation et de la santé. On y apprend sur l’autisme, ou plutôt sur le « TSA ». On apprend comment ce « trouble » se « manifeste », comment le « traiter ». On apprend à quoi ressemble le « TSA moyen ». (Un peu comme des grandeurs de vêtement standards – mais ça, ce sera le sujet d'un autre billet !) On renforce les stéréotypes au fur et à mesure qu’on croise des personnes qui 1) correspondent à nos apprentissages et 2) confirment que nos perceptions et nos interventions fonctionnent. Résultat : renforcement positif de nos biais, confirmation de nos connaissances.
D’ailleurs, la littérature scientifique soulève que les deux domaines les plus récalcitrants à la formation continue sur l’autisme sont les domaines de la santé et de l’éducation (Cooper et Kennady, 2021; Johnson et Joshi , 2016). (Si ça vous surprend, je vous conseille de relire mes deux derniers billets où je vous parle du modèle médical et du problème de double empathie.)
En ce sens, dans le domaine de l’éducation et de la santé, rare sont les acteurs qui vont remettre en question leurs connaissances sur le sujet de l’autisme. Encore plus rares sont ceux qui vont prendre le temps de faire des formations continues sur le sujet qui risquent de confronter leurs savoirs.
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Ah non, Nina! Là, t’exagères! Je connais beaucoup de personnes dans ces deux domaines qui sont très sensibles à l’autisme.
Moi aussi. Mais ce n’est pas parce qu’on s’entoure de personnes qui nous ressemblent que ça fait la norme. Je connais des personnes magnifiques, ouvertes à la différence, prêtes à se former, à comprendre, à soutenir un changement. Je les salue. À force de faire de la sensibilisation, de faire connaître la réalité autiste, les attitudes changent. Tranquillement.
Mais pour initier un changement, il faut d’abord que tous les acteurs aient la même lecture du problème (Collerette, 2023). Les acteurs concernés doivent se sentir concernés par le besoin de changer. C'est un des sept stades de préoccupation du changement (Bareil, 2004). (C’est un peu comme les stades de deuil mais pour le changement de pratiques!)
Si on ne voit pas de problème avec la situation actuelle, il n’y aura pas de changement. Bien entendu, un professionnel de la santé ne peut pas porter le changement à lui tout seul. Ça prend les gestionnaires, les ordres professionnels pour la formation continue et les universités pour la formation initiale.
Toujours pas convaincu.e.s? On va jouer à un petit jeu!
Je vais vous nommer 10 situations vécues récemment par des personnes autistes au Québec.
Votre objectif est de deviner quelle partie du diagramme Venn était en cause:
- la personne autiste;
- le professionnel de la santé ou
- les gestionnaires, les ordres ou la formation.
Prêt.e.s? On y va!
1. Extrait de rapport d’évaluation d'une clinique publique provenant d'un psychiatre:
« Compte tenu des multiples cas de TSA dans sa famille, nous croyons que la possibilité d'une condition génétique associée au TSA pourrait être investiguée avec une consultation en génétique médicale. »
Réaction du médecin de famille à la réception du rapport : « Dans quel but? Vous empêcher d’avoir d’autres enfants? »
2. Témoignage d’une femme autiste : « À la suite d’une entrevue avec une infirmière clinicienne, un psychiatre qui ne m’a jamais rencontré a diagnostiqué un trouble bipolaire. Pourtant, il s’agissait d’un burnout autistique. »
Le médecin de famille, connaissant la patiente, a choisi de faire fi de ces recommandations et de traiter le burnout.
3. Conversation entre une mère et un psychologue pour enfants:
-Madame, votre enfant semble présenter des manifestations de structure psychotique.
-Mais vous êtes certain que ce n’est pas simplement de l’autisme? Il n’a que 8 ans.
-Absolument certain.
-Il n’y a pas de possibilité que ce soit de l’autisme? Son frère est autiste, lui, et je reconnais des traits.
-Je vous assure que non. Trouble oppositionnel avec structure psychotique.
Le diagnostic d’autisme a été confirmé 2 années plus tard par une clinique spécialisée dans le domaine...
4. Sous recommandation de l’unité d’intervention en autisme qui suivait l’enfant, un parent a rentré son enfant à l’urgence pour une détresse psychologique. Lorsque l’adolescent rencontre le psychiatre de garde, il lui nomme qu’il est autiste. Après une conversation de dix minutes, le psychiatre lui nomme que, selon lui, il n’est pas autiste. Il a un trouble d’anxiété sociale.
Non seulement l’ado quitte l'hôpital en remettant en question son identité, ce qui augmente encore plus sa détresse psychologique mais on n'a pas répondu à son besoin initial. D'ailleurs, n'étant pas prioritaire selon le psychiatre, il est toujours en attente d'un suivi psychologique .
5. Une adulte avec un diagnostic se fait refuser de l’aide en psychiatrie parce que le psychiatre n’est pas en accord avec le diagnostic émis, sous prétexte que le profil de la personne ne correspond pas au DSM-5. Résultat, cette personne vit avec une détresse et n’arrive pas à trouver des services.
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6. Un médecin de famille réfère une famille à un pédopsychiatre pour une évaluation en autisme. Lors de la rencontre, les deux parents s’obstinent (le sujet est chargé pour eux).
Réponse du pédopsychiatre : « Le problème n’est pas l’enfant. Le problème, c’est vous deux. Votre enfant n’est pas autiste. »
Bon, en théorie il n’avait pas tort – l’autisme n’est pas un problème. Mais l’enfant est effectivement autiste, ce qu’une clinique spécialisée a confirmé quelques années plus tard. Les parents on éventuellement aussi reçu le soutien, notamment après qu’ils ont découvert qu'un d'eux était, lui aussi, autiste.
7. Lors d’une visite chez une nouvelle psychologue, une patiente autiste se fait demander de justifier son diagnostic, pas pour essayer de comprendre, mais parce que la professionnelle n’y croit pas. Se sentant incomprise et jugée, elle quitte le bureau pour essayer de se chercher une nouvelle aide.
8. Une adolescente de 14 ans se fait dire d’abord qu’elle a un TAG (trouble anxieux généralisé). Une année plus tard, on lui ajoute un trouble dépressif. Une année après ça, on renchérit avec début de trouble de personnalitélimite avec douance, hypersensibilité et un trouble de la communication sociale. Tout ça à 16 ans. Le pire? Elle préférait de loin porter toutes ces étiquettes parce qu’elles la stigmatisaient moins que le stéréotype de l’autisme au féminin. De toute façon, elle avait des meilleures chances d'obtenir des services que si elle avait eu un diagnostic d'autisme.
9. Une personne autiste demande une référence au guichet d’accès de son CISSS à plusieurs reprises pour de l’aide psychologique et de l’accompagnement. Cette aide lui est refusée plus de 5 fois par des professionnels. La raison? On n’accorde pas de crédibilité à son diagnostic parce qu’il a été émis par une clinique privée.
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Alors, vous avez noté vos réponses? Qui est le grand gagnant du diagramme Venn?
Si vous avez répondu « Gestionnaire de la formation du personnel, universités et ordres professionnels » alors vous avez gagné!
(Mais malheureusement pas les personnes autistes, ni les professionnels de la santé qui tentent de les soutenir...)
Allez! On monte aux barricades! On renverse le système, on manifeste, on se rebelle!
Non, non et re-non!
Chacun fait du mieux qu’il peut avec les connaissances qu’iel a. Et... on ne peut pas savoir ce qu’on ne sait pas.
Ces exemples, je ne vous les donne pas pour dénoncer une personne ou une organisation. Avoir voulu faire ça, j’aurais nommé des noms, des cliniques, des dates. Mais ce n’est pas mon objectif. On gagne à collaborer.
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Toutes les personnes dans ces exemples font du mieux qu’ils peuvent selon leurs connaissances actuelles. L’enjeu, c’est la formation initiale et la formation continue des acteurs en santé et en éducation.
Je m'explique.
Peut-être vous rappelez-vous encore le temps où on croyait qu’il était pertinent de mettre un objet dans la bouche d’un patient épileptique. Ou d’effectuer une lobotomie pour des troubles psychologiques. Ou, à plus petite échelle, quand il était conseillé d’empêcher les gens à écrire de la main gauche sous prétexte que « c’était inacceptable selon les conventions ».
Les connaissances évoluent toujours. Mais nos biais nous empêchent souvent de suivre la parade. Ils peuvent même nous pousser à l’opposition ou à avoir des réactions émotives.
Par exemple, si je vous disais qu’une recherche récente a soulevé que le fait de mettre de la glace sur une inflammation ralentissait la guérison, quelle serait votre réaction? L'incrédulité? Le doute? L'opposition profonde parce que votre pratique de mettre la glace a toujours bien fonctionné? Est-ce que ça vient vous chercher dans vos connaissances et même dans vos valeurs? Allez-vous changer vos pratiques maintenant ou même dans quelques mois?
Ce qu'on a appris, ça reste. C'est plus difficile de déconstruire un savoir que de le construire.
En passant la recherche, elle, est véridique. La glace réduit l’inflammation, mais l’inflammation est essentielle au processus de guérison (Wang et Ni, 2021). Je dois cette info à ma physiothérapeute avec qui je me suis un peu, je l’avoue, obstinée... (Je vous l'avais dit tantôt - personne n'a le savoir absolu!)
Alors on retient quoi de ce billet?
On ne peut pas savoir ce qu’on ne sait pas. L’important, c’est d’en prendre connaissance et d’agir en conséquence.
Ça veut dire qu’il faut ajuster les formations initiales et continues.
Même un mois complet de sensibilisation à l’autisme par année est peu efficace si on n’implique pas les facultés universitaires qui forment les professionnels, ni les ordres professionnels une fois sur le terrain.
Aujourd’hui, plus personne en éducation ne broncherait devant un enfant qui écrit de la main gauche. Plus personne en santé ne recommanderait une lobotomie pour une dépression. Les professionnels se sont formés. Ils ont reconnu que leurs connaissances étaient à parfaire.
Un jour, on arrêtera peut-être aussi de mettre de la glace sur les inflammations.
Un jour, on exigera la formation continue pour tous les professionnels de la santé qui côtoient les personnes autistes.
Un jour, les ordres professionnels de la santé travailleront avec les personnes autistes pour mieux comprendre leur réalité sans la médicaliser.
Et, j’ose rêver qu’un jour, on n'aura plus besoin d’organiser le mois de la sensibilisation à l’autisme.
Entre temps, je vous invite à réfléchir avec moi, à travailler à mes côtés pour un monde où, un jour, nous pourrons #normaliserlaneurodiversité, tout simplement.