Par Nina Thomas, M.Ed., PhD (c)
En ce mois de la sensibilisation à l’autisme, pourquoi ne pas commencer avec un sujet délicat? Parlons de l’autisme au féminin. Et pourquoi, dites-vous, faudrait-il en parler? Il y a plusieurs bonnes raisons. Mais voici une des plus importantes. Ce n’est plus un secret que les femmes sont moins souvent identifiées (je préfère ce terme puisque l’autisme n’est pas une maladie comme le prétendent certains) que les hommes.
Au début, on prétendait que c’était parce qu’il y avait moins de femmes autistes. Certains chercheurs sont même allés jusqu’à avancer une explication à savoir que l’autisme serait attribuable à un cerveau masculin extrême (Lai et al. 2015) Par contre, certains chercheurs ont finalement remarqué que, quand certains hommes autistes se faisaient donner un vaporisateur d’ocytocine, les traits souvent associés à l’autisme comme les difficultés reliées à la lecture et à la reconnaissance faciale (entre autres la facilité à interpréter certains comportements des autres, les fonctions exécutives d’organisation et de coordination) étaient, minimisés (Domes et al. 2013, Faridi et Khosrowabadi, 2017).
Bon, qu’est-ce que ça veut dire pour le commun des mortels?
L’ocytocine est une hormone communément trouvée en plus grande quantité chez les femmes cis-genre (nés femmes). C’est, entre autres, l’hormone qui aide la contraction de l’utérus à l’accouchement, mais elle assure la création de l’attachement entre mère et enfant. C’est aussi une des hormones responsables pour le sentiment de bien-être qu’on peut ressentir lors d’un gros câlin.
Pourquoi c’est important pour le sujet de l’autisme au féminin?
Les femmes autistes ont les mêmes hormones que les autres femmes. Donc, la production d’hormones comme l’ocytocine n’est pas différente. Et les critères qui ont été, à ce jour, utilisés pour identifier les personnes autistes se reposent sur des critères plus masculins. (Hénault, 2021)
Le diagnostic : un jeu de carnaval
Imaginons un jeu de carnaval où il faut réussir à tirer sur trois objectifs pour gagner le gros prix. Ici, les objectifs sont les critères d’identification et le gros prix, lui, c’est « l’identification officielle » voire une invitation au club sélect des autistes incluant la poignée de main secrète.
Quels objectifs dois-je atteindre?
Tout dépendant de quel objectif on « atteint » avec notre fusil, on peut gagner trois types de prix – le petit, le moyen ou le gros. Ce sont les « catégories » d’autisme...
Mais, vous allez me dire que c’est presque impossible pour une femme d’atteindre ces objectifs si elle arrive à interagir et lire les expressions faciales des autres... Et vous allez peut-être aussi soulever que les exemples du deuxième critère peuvent être anxiogènes pour n’importe qui. On pourrait vivre de l’anxiété par rapport à un changement et être sensible sans vouloir le montrer de peur d’être jugé « bizarre » ou rigide. Eh oui! Ce jeu des objectifs est tout aussi « arrangé avec le gars des vues » que les jeux de carnaval. Qui peut gagner le jeu? Un groupe restreint d’individus qui ne ratent pas le premier critère et qui manifestent ouvertement des comportements dérangeants en réaction au deuxième critère. Alors on oublie le petit, le moyen ou le gros toutou?
Photo by Ehimetalor Akhere Unuabona on Unsplash
Faut-il monter aux barricades et «annuler » le DSM-5 et tout le personnel qui s’en sert?
Non. Il faut simplement reconnaitre que les outils sont imparfaits. Ils ont été créés par des hommes en observant des garçons dans un contexte restreint. Et ils ont été confirmés par d’autres hommes qui ont aussi validé les outils dans des contextes restreints.
Faut-il blâmer les hommes?
Non plus. Je sais que ça peut être contre-intuitif, mais il faut ouvrir le dialogue vers un changement. Comme le dit Dale Carnegie, la meilleure façon de gagner un argument est de ne pas le commencer. Le changement se fait en ayant une lecture commune du problème. Ce n’est pas en attaquant l’autre qu’on y arrivera. Donc, si on enlève le premier objectif qui est souvent « raté » par les femmes, alors il sera plus difficile d’obtenir cette reconnaissance « officielle » de notre différence invisible. Il y a en effet une quantité importante de femmes qui oeuvrent dans le domaine de l’éducation et dans le domaine de la santé qui sont des NNI (Neuroatypiques non identifiées) (Libsack et al. 2021).
Photo by Martin Vorel on Libreshot
Parfois elles savent qu’elles sont différentes mais ne savent pas pourquoi. Parfois elles ne le savent pas encore et s’épuisent à faire semblant d’être comme les autres. Et parfois, elles savent très bien qu’elles sont neuroatypiques autistes mais elles cachent cette différence pour ne pas se faire discriminer (mais, ça, c’est un sujet pour un autre jour). Dans tous les cas, elles souffrent et sont plus à risque de problèmes de santé mentale et de arrêts de travail répétés. D’ailleurs, tout comme aves les femmes qui obtiennent leur « carte de membre » du club select des personnes ayant un TDAH, les femmes reçoivent généralement leur carte sur le tard, après qu’on a identifié et aidé son enfant.
Mais, je ne suis pas psychiatre ni psychologue. En quoi ça me concerne?
Eh bien, si vous travaillez dans le domaine de la santé ou de l’éducation, il est fort à parier que vous avez au moins une collègue NNI dans votre entourage. Après tout, selon les dernières statistiques, il s’agit tout de même de milieux majoritairement féminins. Et cette personne ne demande rien d’autre qu’on l’accepte, qu’on la comprenne et qu’on la voie telle qu’elle est vraiment. Elle ne veut pas être « guérie ». Elle ne veut pas qu’on la prenne en pitié. Et elle ne veut surtout pas qu’on lui dise « T’es autiste? Vraiment? Mais ça ne parait tellement pas! » (Mais ça aussi, c’est un sujet pour un autre jour) Ce qu’elle veut, c’est un environnement neuroinclusif sécuritaire (voire bienveillant, accueillant et ouvert à la différence) où elle peut se permette d’arrêter de se cacher, de faire semblant d’être comme les autres.
Photo by Pavel Danilyuk on Pexels
Ceci s’applique également aux filles dans les classes. Souvent elles sont oubliées, ou vues comme gênées, studieuses, antisociales, et à la limite même « ayant des difficultés à gérer leurs hormones » On va souvent leur coller l’étiquette d’hypothèse de trouble bipolaire ou trouble de la personnalité limite à confirmer à l’âge adulte. Imaginez ce que ça peut faire sur l’estime de soi de la personne?
Ce n’est pas grave, il faut simplement comprendre que notre quête du savoir est imparfaite et qu’elle s’améliore avec le temps. On ne peut pas savoir ce qu’on ne sait pas. Le danger, c’est d’ignorer qu’on a des choses à apprendre. En ce mois de sensibilisation de l’autisme, rappelons-nous que nous avons encore beaucoup de choses à apprendre sur l’autisme, la neuroatypie et la neuroinclusion.