Par Nina Thomas, M.Ed., PhD (c)
Continuons dans la lignée de mon dernier billet et parlons de l’autisme au féminin en emploi. Et pas n’importe quel emploi – en éducation.
Bon, vous allez peut-être me dire deux choses :
1- Ça ne se peut pas, on les aurait vues
2- Bien sûr que ça se peut, mais elles ne voudraient pas choisir un emploi en éducation – il y a trop de social.
Dans ce billet, je vais m’attarder à cette première réponse hypothétique : ça ne se peut pas.
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Et pour la deuxième réponse hypothétique, je vous invite à la réflexion suivante : quel domaine permet d’être en relation d’aide avec des comportements sociaux encadrés tout en parlant ou en s’entourant des conditions idéales pour aborder ses intérêts particuliers? Le domaine de la santé et de l’éducation! (Ce sera le sujet d’un autre billet, promis!)
Revenons donc à la première réponse hypothétique : Ça ne se peut pas!
Vous rappelez-vous mon dernier billet sur l’autisme au féminin? Eh bien, continuons sur la même lancée.
En 2022, j’ai effectué une recherche à savoir :
Y a-t-il d’autres femmes NNI (les neuroatypiques non identifiées) dans le domaine de l’éducation?
Si oui, quels sont leurs obstacles quotidiens en emploi et quels seraient leurs besoins?
Vous savez quoi? Parmi toutes les femmes que j’ai interviewées, aucune ne désirait vraiment nommer sa neurodivergence, ni à ses collègues, ni à son gestionnaire. Pourquoi? Il y a plusieurs raisons.
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D’abord, il y a la menace du stéréotype. C’est la peur de se faire catégoriser, étiqueter et écarter. Cette menace, en passant, est réelle et non imaginée. Ce n’est pas une perception de la part de la femme autiste. Dès qu’on nomme sa différence, on devient souvent un « cas » à être traité. Surtout dans le domaine de l’éducation où on veut encore « aider la personne autiste à être comme les autres ». Si la femme ne se conforme pas à un comportement neurotypique, alors il arrive souvent que les personnes dans son environnement de travail adoptent un comportement infantilisant à son égard (Priscott et Allen, 2021). J’y reviendrai dans un autre billet.
Ensuite, il y a l’enjeu du mouvement du personnel. Les directions dans les établissements scolaires changent souvent de chaise. Peu restent dans la même école plus que quelques années et, s’ils le font, ils changent tout de même leurs dossiers de responsabilité.
Qu’est-ce que ça veut dire pour la divulgation volontaire de sa neuroatypie?
Eh bien, même si elles ont établi une relation de confiance avec leur direction, cette dernière peut être remplacée rapidement par une autre qui n’aura pas la même connaissance de la neuroatypie autiste. Tout est à recommencer, et la relation de confiance ne sera pas nécessairement pareille. C’est beaucoup d’énergie et encore plus de risque de vulnérabilité.
Pourquoi est-ce un facteur de risque?
Une recherche récente a suggéré que les connaissances des directions ne sont pas nécessairement au point pour accompagner des employées neuroatypiques et encore moins celles qui sont autistes, non pas par malice, mais par manque de formation et de ressources. (Thomas, 2022).
Finalement, il y a aussi le sentiment d’impuissance. Plusieurs employées autistes ont nommé que ça ne sert à rien de nommer sa différence puisque ça ne changera rien au quotidien dans leurs interactions, ni dans l’acceptation de leur différence par leurs collègues. Celles qui ont essayé ont vécu des expériences négatives.
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Et elles ont raison : les plus récentes recherches sur les perceptions suggèrent que la divulgation de l’autisme peut seulement influencer une relation avec ses collègues si ces derniers ont des connaissances à jour sur le sujet (Heasman et Gillespie, 2019; Metinyurt et al. 2021; Sasson et Morrison, 2019).
Bon, vous allez me dire : « Oui, mais tout le personnel du domaine de l’éducation est formé sur l’autisme, voyons! »
Et vous avez raison, en partie. Et c’est précisément cette réponse qui fait que les femmes autistes en éducation n’osent pas divulguer leur différence.
Je m’explique.
Q: Dans quel contexte apprend-t-on sur l’autisme en éducation?
Qu’est-ce qu’on apprend?
En passant, on appelle ça le modèle médical du handicap. On n’a qu’à regarder le descriptif de certains cours qui forment les intervenants à «intervenir auprès de l'enfant ou l'adulte TSA et à aider la personne à accepter ses incapacités» (voir le programme d’intervention auprès de personnes autistes au Québec dans les cégeps) J’y reviendrai aussi une autre fois.
Avec ça, qui voudrait se « démasquer » comme « un cas à traiter »?
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Est-ce que le personnel scolaire se sent outillé pour l’inclusion d’un enfant autiste dans sa classe dite « régulière »?
Mais tu exagères. Les médias n’ont pas de mauvaises intentions. Et s’appuyer sur ses connaissances, c’est une bonne stratégie, voyons!
Les personnages autistes qu’on voit dans les médias traditionnels sont des stéréotypes masculins exagérés. Un Rain Man? Un Sheldon Cooper? Un informaticien sans habiletés sociales? Un humain qui ne vous regarde pas dans les yeux et qui parle sur un ton monotone? Un médecin savant?
En passant, où sont les personnes issues de minorités visibles? Où sont les personnes autochtones? (Je reviendrai aussi sur l’intersectionnalité dans un autre billet)
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Et où sont les femmes dans ces exemples, au juste? Heureusement qu’il y au moins Greta. (Même là, sa mission de préserver l’avenir de la planète et des ses habitants parfois remis en question parce que son autisme la rendrait « trop rigide »)...
Imaginez maintenant que vous décidez de dévoiler que vous êtes autiste à vos collègues de travail en éducation... Vous vous souvenez de la menace du stéréotype? C’est là qu’elle prend tout son sens.
Lorsqu’on est formé dans un modèle médical du handicap, on perçoit automatiquement les incapacités. Le regard des collègues change. Celles qui ont essayé de se démasquer l’ont vécu.
Les employés qui ont une formation en adaptation scolaire vont se reposer sur les connaissances des traits et caractéristiques appris en classe :
« T’es autiste? Vraiment? Je te trouve courageuse de travailler en enseignement avec tout le bruit et le social. T’es certaine que c’est pas trop pour toi? »
« Ah, ça explique pourquoi les autres ont de la difficulté avec toi, tu ne les comprends pas!»
Ceux qui n’ont pas de formation vont s’appuyer sur leurs expériences personnelles ou ce qu’ils ont vu et entendu :
«T’es autiste? T’es certaine? Ça se peut pas. J’ai un cousin autiste et vous ne vous ressemblez pas du tout. »
« Ah, alors tu es une Greta? »
« Ben voyons, c’est un trouble masculin. T’es certaine que c’est pas autre chose? »
« Mais on est tous un peu autiste, c’est peut-être juste ça. »
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Je vais vous dévoiler un petit secret... J’ai une famille 100% neuroatypique. Nous le sommes tous, parents et enfants. Et vous savez quoi? Aucun de nous n’est pareil. C’est la beauté de la différence et de la neurodiversité. Cette géométrie variable de la neurodivergence se manifeste chez toutes les personnes neurodivergentes. Elle a été documentée à plusieurs reprises (Kirby, 2023). J’y reviendrai une autre fois.
Mais voyons donc! Je suis en éducation et je suis formé! Je les aurais vues, ces femmes!
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Bon, vous allez me dire que j’exagère. Et que ça ne sert à rien de lancer des roches aux gens qui travaillent en éducation. Ils en ont déjà plein les bras!
Peut-être. Mais imaginez si l’environnement de travail était neuroinclusif et que les employés neurodivergents se sentaient acceptés... Il y aurait plus d’employés qui se sentiraient mieux d’être eux-mêmes, dans tous les corps d’emploi. Il y aurait plus de personnes qui se mobiliseraient pour travailler dans le domaine de l’éducation aussi. Les recherches ont démontré qu’un milieu qui s’affiche neuroinclusif attire plus d’employés même ceux sans diagnostique officiel (Giannantonio et al. 2019).
Et soyons honnêtes : du personnel scolaire, il en manque!
C’est bien beau tout ça, mais je fais quoi, moi, en tant que personnel scolaire ou directeur d’école?
Vous rappelez-vous mon premier billet? On ne peut pas savoir ce qu’on ne sait pas. C’est pourquoi j’ai choisi d’écrire ces billets. Faire de la recherche et publier dans les journaux est une chose. Mais rendre cette recherche accessible pour tous est tout aussi important, sinon plus à mes yeux.
En tant qu’être humain, il est important de questionner ses connaissances et ses biais :
(En passant, vous pouvez remplacer le mot « autiste » par n’importe quel autre groupe marginalisé et répéter l’exercice.)
Si jamais vous voulez de l’accompagnement, de la formation ou du coaching pour vous et votre équipe, écrivez-moi. Le tout sera appuyé par la recherche et donné en prime par une femme professionnelle neuroatypique autiste qui connait très bien le milieu scolaire et ses enjeux. (Fin de ce message publicitaire.)
Donc, qu’est-ce qu’on retient de ce billet?
Le modèle médical qui nous a été transmis n’est pas complètement mauvais, il nous sert en éducation et en santé pour aider, pour promouvoir le développement de l’individu selon les besoins identifiés.
Mais...
Si on s’en sert pour interagir avec des adultes compétents qui ont suivis des formations et qui œuvrent à nos côtés, c’est comme si on les jugeait comme un enfant. Et sérieusement, qui voudrait qu’on tienne compte de son comportement à 5, 10 ou 14 ans? En tout cas, pas moi! (Et une chance que les réseaux sociaux n’existaient pas à cette époque!)
Donc morale de cette histoire? En tant que femme autiste, professionnelle de l’éducation et chercheuse en neuroinclusion, je peux vous confirmer que les femmes autistes en éducation sont bien présentes. En nombres plus élevés que vous ne croyez et ce, dans tous les corps d’emploi, du personnel de soutien jusqu’aux cadres. Mais pour qu’elles divulguent, il faut un espace compréhensif et ouvert. (j’allais utiliser « bienveillant », mais ce mot est surutilisé...)
Imaginez comment ces femmes pourraient être des modèles pour nos élèves neurodivergents dans leur persévérance scolaire si seulement elles se sentaient à l’aise d’être elles-mêmes... (Mais ça aussi, ce sera le sujet d’un autre billet!)
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